Belgique : Charleroi la scandaleuse illustre la fragilité wallonne
LE MONDE | 08.06.07 | 12h39 • Mis à jour le 08.06.07 | 14h12
CHARLEROI ENVOYÉ SPÉCIAL
epuis des mois, des enquêteurs occupent en permanence un bureau du vaste hôtel de ville de Charleroi. C'est là qu'ils épluchent des dossiers résumant des années de gestion de la plus grande ville de Wallonie. Leurs découvertes ont déjà valu à sept élus socialistes et à plusieurs hauts fonctionnaires d'être mis en examen.
Jacques Van Gompel, bourgmestre PS nommé après les municipales de 2006, a passé quelques semaines en détention préventive. Son successeur, Léon Casaert, pourrait être inquiété. Leur prédécesseur, Jean-Claude Van Cauwenberghe, a dû abandonner son poste de ministre-président de la région wallonne lorsque la tempête s'est levée. Il était, pour certains, le grand organisateur d'un système où toutes les règles ont été contournées. Jeudi 7 juin, son fils, Philippe Van Cauwenberghe, échevin (adjoint au maire) chargé des sports, a été mis en examen pour avoir menacé un candidat libéral lors de la campagne des municipales.
Où s'arrêtera la curée pour le PS, qui a perdu sa majorité absolue l'an passé ? "En général, nous recherchons le faux parmi le vrai, ici, c'est l'inverse", a expliqué l'un des enquêteurs. "En fait, il n'y avait plus de règle. Mais un système où, sans que l'on puisse toujours parler d'enrichissement personnel, on a toléré les petits, puis les grands arrangements", commente Jean-Jacques Viseur, membre du Centre démocrate humaniste (CDH), désormais en coalition avec le PS. Cet ancien ministre fédéral, président de l'université de Louvain, est né à Charleroi et veut, en tant qu'échevin chargé des finances, remettre de l'ordre puis relancer une ville où, dit-il, "plus aucun grand projet n'a été concrétisé depuis quarante ans".
L'opération "mains propres" de la justice est devenue l'un des principaux thèmes de la campagne électorale belge, qui s'achève dimanche 10 juin. Surtout depuis que le procureur général, proche du PS, a enjoint le parquet de Charleroi d'observer le silence sur les enquêtes. Depuis, aussi, que le Mouvement réformateur (libéral) de l'actuel vice-premier ministre belge, Didier Reynders, a invité les deux élus de son parti à abandonner leur mandat d'échevin, lundi 28 mai, précipitant dans une nouvelle crise la majorité à trois (PS, centristes et libéraux) qui était censée redresser la ville.
Exploitant les affaires de Charleroi, M. Reynders a enflammé une campagne électorale terne, marquée jusque-là par ce que le politologue Vincent de Coorebyter appelait, dans La Libre Belgique, "une convergence tout à fait inédite des programmes". Tirant à vue sur le PS et son président, Elio Di Rupo, ministre-président de la région wallonne, le leader libéral veut convaincre que le problème de la Wallonie, c'est bien ce parti dominateur qui freinerait les remises en question. S'inspirant de la stratégie de "son ami" Nicolas Sarkozy, étrillant au passage les centristes, adeptes de François Bayrou mais "scotchés au PS", dit-il, M. Reynders fait tout pour que ses adversaires apparaissent comme archaïques, défenseurs d'un modèle d'Etat-providence dépassé.
"Charleroi, c'est, pour lui, du pain bénit", selon la formule de M. Viseur. De nombreux paramètres sont au rouge dans cette ville-région où les enfants redoublent deux fois plus qu'ailleurs leur troisième année de maternelle, où 15 % seulement des 18-23 ans étudient à l'université - entre 25 % et 35 % ailleurs - et où le taux de chômage des femmes et des jeunes est largement supérieur à la moyenne wallonne.
Face aux attaques de son rival, M. Di Rupo a promis la mise en place, après les législatives, d'une équipe "à la hauteur des défis" à Charleroi. Le leader socialiste joue gros. Les libéraux espèrent devenir la première formation francophone pour écarter leur adversaire de la course au poste de premier ministre fédéral et rester dans un gouvernement que dirigerait le chrétien-démocrate flamand Yves Leterme.
La grande victime de ces péripéties est le prétendu "front francophone" ébauché en 2006, dans la perspective de la conférence institutionnelle voulue par la Flandre qui veut plus d'autonomie et réclame une nouvelle réforme de l'Etat belge. "Front, quel front ?", ironise un ancien ministre chrétien-démocrate flamand, qui a connu d'autres tentatives du genre. La plupart ont échoué.
Jean-Pierre Stroobants
Article paru dans l'édition du 09.06.07
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